[Fresque historique – Septembre 2022] Focus sur le mali
Le processus de structuration des dynamiques sur les semences paysannes en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Mali qui pourrait se lire en quatre périodes qui ponctuent son historique. A noter que ce travail se base sur un historique de 18 ans, dressé à partir de la mémoire d’Anne B Déna, et complété au besoin lors des entretiens réalisés dans le cadre de la capitalisation menée avec le programme TAPSA.
2003 – 2007 : De la résistance aux OGM à l’émergence de la problématique des semences paysannes
En 2003, une tournée de la Confédération Paysanne au Mali est le prétexte à l’ouverture des premiers débats publiques sur les OGM. Ils ont lieu lors des bourses aux céréales organisées par Afrique Verte qui deviendra AMASSA.
L’idée de mener une campagne de sensibilisation au Mali sur les OGM se concrétisera avec l’AOPP par la diffusion d’une émission radio et d’une K7 en langue locale qui explique ce qu’est l’OGM, les risques et les enjeux. Le termes « Bayelema shi », qui signifie en bambara la semence transformée, sera consacré.
Cette campagne a reposé sur la mobilisation d’acteurs organisés du monde agricole et de la société civile ayant une base sociale et une capacité de rayonnement importante au sein des communautés paysannes.
Elle sera le ferment de la résistance aux OGM, de la lutte et du plaidoyer activement orchestrés par la COPAGEN Mali, jusqu’à l’adoption de la loi biosécurité au Mali en 2008. Loi, qui malgré la lutte menée par la société civile, sera adoptée par l’assemblée. Sans interdire les OGM, elle réglementera leur expérimentation et leur mise en circulation.
C’est à peu près à cette période (2007-2008), que se diffusent l’information et les analyses montrant les stratégies de privatisation des semences paysannes des acteurs du secteur industriel, qui engendre une violation des droits des paysans. Ainsi une prise de conscience des organisations paysannes commence sur les enjeux relatifs aux nouveaux règlements harmonisés sur la commercialisation des semences, les enjeux liés à la certification des semences et l’exclusion progressive, voir la criminalisation des semences paysannes et la stratégie de l’industrie pour la privatisation des semences.
C’est aussi la période où s’affirme politiquement la nécessité de la souveraineté alimentaire pour les peuples.
2007-2011 : La structuration de la société civile ouest africaine en faveur des semences paysannes et des droits des paysans
La forte poussée de la nouvelle révolution verte pour l’Afrique, qui menace l’agriculture paysanne, la biodiversité et l’autonomie semencière, amène les organisations de la société civile et les organisations paysannes à se mobiliser en sensibilisant les communautés paysannes. Cette période de 2007 à 2011 est intense en échanges paysans, foires de Djimini, foras, campagne d’information pour une forte mobilisation paysanne, d’identification des initiatives pour une mise en réseau…
Cette phase « est consacrée » en novembre 2011 par la création du COASP, Comité Ouest Africain des Semences Paysannes, qui s’affirme comme une coalition, un cadre de concertation, de paysans et paysannes, praticien-ne-s des semences paysannes, convaincus que la semence paysanne est leur patrimoine, est leur vie.
A travers la déclaration de 2011, ils donnent le ton et s’engagent clairement :
« Nous sèmerons nos variétés locales pour une autonomie semencière et alimentaire ;
Nous revalorisons les techniques et les produits traditionnels de conservation de nos semences ;
Nous protégerons nos terres avec une agriculture sans produits chimiques ;
Nous partagerons nos savoir-faire pour faire vivre la biodiversité agricole ;
Nous consommerons nos produits locaux pour une bonne santé et l’amélioration de l‘économie rurale. »
Ces engagements sont la feuille de route, affirmant clairement le lien entre la biodiversité des semences
locales/paysannes, l’autonomie paysanne, l’importance des savoirs paysans à reconquérir, et le lien à
l’alimentation et aux marchés locaux.
2012-2016 : Le défi de la reconquête de la diversité des semences paysannes dans les terroirs et de la convergence des luttes
Cette période est marquée par les actions pour la promotion des semences paysannes – cœur de l’agroécologie – par des membres « pionniers et engagés » dans leur pays et leurs régions. Chacun cherche à reconquérir la diversité dans son terroir à travers la sensibilisation des communautés, l’identification de la diversité du terroir et des connaissances associées, de la formation, la transmission de techniques et de pratiques…
C’est aussi une phase d’identification d’autres initiatives ou d’engagement pour d’autres organisations et le début de structuration d’une dynamique collective dans plusieurs pays.
S’affirme peu à peu la légitimité des semences paysannes, et leur lien à l’agroécologie paysanne.
La nécessité que les luttes convergent, notamment celle contre l’accaparement des terres, de l’eau avec la lutte pour les semences paysannes et les droits des paysans, est de plus en plus prégnante, et certaines actions comme la 1ère caravane de la CGLTE-AO en sont le début d’expression concrète.
En effet sur le plan politique, stratégique, on assiste à une convergence des luttes ou plutôt à l’affirmation des liens entre semences paysannes et d’autres thématiques (souveraineté alimentaire, droits économiques / accès aux ressources…) et la nécessité de renforcer les alliances pour donner plus de poids aux initiatives de terrain.
2017– 2022 : Vers la reconnaissance des droits des paysans dans les cadres juridiques
La problématique des semences paysannes et des droits des paysans est de plus en plus audible et présente dans les débats aux niveaux nationaux et internationaux.
Dans ce processus de plaidoyer, le vocable s’affine pour s’adosser à la stratégie juridique et au contexte des nouveaux enjeux de privatisation du vivant, avec une nécessité de ne pas séparer les semences paysannes des systèmes semenciers paysans.
La question de la reconnaissance des systèmes semenciers paysans et la réalisation des droits des paysans se discutent dans les espaces nationaux des pays comme par exemple avec le processus Semences Normes et Paysans au Mali, ainsi que dans les arènes internationales comme au sein des Nations Unies à travers le TIRPAA ou l’UNDROP.
Cette phase est marquée par la nécessité d’alliances stratégiques comme celle du COASP-Mali avec la CNOP pour le plaidoyer. Elle confirme aussi la volonté d’alliance du ROPPA avec le COASP, qui depuis sa genèse vise à faire passer ses préoccupations pour les semences et la biodiversité via les faîtières pour le plaidoyer au niveau des institutions nationales et sous-régionales.
Cependant les efforts de régulation sont incertains face aux pressions de l’industrie semencière de plus en plus concentrée, et le défi de la réalisation des droits des paysans reste énorme, dans un contexte où des processus d’harmonisation des lois semencières au niveau continental sont à l’œuvre, en vue d’ouvrir toujours plus de marché pour les semences commerciales et industrielles.
Les organisations paysannes et de la société civile doivent faire face à ce défi et consolider leurs alliances.
C’est une période cruciale de passage à l’échelle, où de plus en plus d’acteurs et de coalitions se revendiquent de la semence paysanne et de l’agroécologie. Le leadership, le manque de coordination, la quête de financement concurrentiel, le manque de synergie et de concertation pourrait affaiblir la dynamique pourtant de plus en plus reconnue. Le passage à l’échelle sera le défi de la prochaine phase.
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